cat miaou ◮ mikey meowDe toutes façons, je ne suis pas heureux. C'est malheureux, mais je n'y arrive pas. Pourtant, tout va bien et ça ne va pas. C'est une accoutumance au mal-être, c'est bizarre. Mais je doute toujours sur plein de choses. Sur ma capacité à vivre avec les autres et tout ça... De plus en plus.
Tout a commencé par une vie en noir et blanc. D'immenses bâtisses aux murs gris, d'imposantes portes en ébène, une fontaine sur la place du village, d'un blanc sale. Même l'eau paraissait grise.
L'intérieur du vieil hôpital était entièrement repeint, d'un blanc médicamenteux. On trouvait des tâches de couleur de-ci de-là, vite recouvertes par une couche monochrome de mauvaise qualité. Tout laissait désirer, du personnel médical qui n'en était pas un aux immenses néons jaunis du couloir trop long et trop blanc. Mais personne ne criait. Peut-être que personne n'osait, peut-être que plus personne n'en avait les moyens. Imaginez, une population décimée; les cordes vocales coupées dans un unique coup parfait. Digne d'une star, digne d'un professionnel. Un coup de maître qui malgré son horreur mérité d'être connue; reconnue. J'aurai pu écrire un article sur celui qui a fait ça.
Hallucinations. Non, ils sont tous là, réunis dans le grand salon aux rideaux plus gris que gris, aux murs plus blanc que blanc. Ils sont tous là, hommes femmes et enfants, tous les habitants de cette ville zombie. Tous sont là, assis ou debout ou couchés, et tous se fixent les uns les autres. Un
Roi du silence géant. Qui ne semble jamais se terminer. Des contacts visuels qui n'en finissent pas, c'est
un, deux trois soleil sans personne pour permettre aux joueurs de bouger. Une marelle géante, une pièce remplie de vie mais paradoxalement tellement morte. Ils ne savent plus ni vivre ni mourir. Ils se vident de leur sang, n'en ont plus assez pour vivre mais toujours trop pour mourir. Alors à la manière des vieilles personnes qui attendent leur soupe, eux attendent que le temps passe. Que les aiguilles s'activent, que l'air circule à nouveau dans leur grande bâtisse hermétique. Dans leur ville éloignée du reste du monde. Allez savoir si ce lieu était vraiment une ville. On aurait dit l'intérieur d'un cœur. Un cœur mort, ou presque. Un cœur arrêté, un cœur fini, ou presque. Ça n'est qu'un cœur endormi, ça n'est que la vie d'une petite fille, son esprit mis en bouteille dans ce qui semble être une ville fantôme. Une ville qui fleurira à nouveau, qui redécouvrira ses couleurs quand la gamine retrouvera sa vie pleinement.
Et puis je me suis réveillé. En pleurs, en sueur. Je passais une main sur mon front, tenais mon visage. J'ai toujours eu un don pour rêver de choses étranges. Totalement perchées. Où rien n'est expliqué, mais tout est si clair. Personne dans mes rêves ne viendra jamais me dire que j'aime ce grand brun, mais je le sais pourtant. La magie des rêves. Vite remplacée par l'humidité de la pièce. Par le bruit des ongles du voisin, qui rappent encore et encore le mur. Par les bruits de circulation, malgré l'heure, qui se faisaient entendre et s'imposaient dans l'ambiance sonore. Par ma respiration haletante, le tic tac de l'horloge, les goutes s'échappant du robinet de la cuisine. Putain, j'ai encore oublié d'appeler le plombier.
À y regarder plus près, il n'était pas si tôt. Je fixais l'horloge un moment; suffisamment longtemps pour oublier depuis combien de temps et quelle heure il était quand mon regard s'était posé dessus. La fatigue avait des effets nocifs bien pires que quelconque drogue à mes yeux. À commencer par, mh, la fatigue. Ahah. Puis je me levais, du pied droit, en trainant des pieds. Mais étant gaucher, je suppose que me lever du pied droit n'a rien de bénéfique pour ma journée...
Je n'avais pour le moment la foi ni de m'habiller ni de me doucher ni rien d'autre qui nécessite quelconque effort physique. J'allais au plus simple en enfilais un bas de jogging gris, un sweat à capuche vert et partais au salon, volets fermés, m'abrutir un peu plus devant un dessin animé. Plus c'est débile, plus je meurs d'envie de le regarder. Ma tête trouvait appui sur l'accoudoir du canapé, mes pieds dans le vide à l'autre bout de celui-ci, et mon corps étalé en étoile de mer entre les deux. Tantôt sur le dos, tantôt sur le ventre. Le seul sport que je m'étais jamais autorisé. L'heure passait à une vitesse folle. Dix heures, onze heures bientôt. Je bâillais la bouche grande ouverte, grattais mon bas-ventre à la limite de mon boxer en soulevant mon sweat. J'observais la pièce plongée dans l'obscurité qui s'étendait tout autour de moi. Autant l'air était agréablement parfumé, au tant putain y avait de tout partout. Je jetais un dernier coup à l'horloge. Onze heures. Onze heures, onze heures. Putain, Cat.
Je me levais non sans difficulté et passais vite fait dans un maximum de pièces, débarrasser tout le bordel et tout entasser sur mon lit. Combien y a-t-il de chances qu'elle entre dans ma chambre ? Zéro on est d'accord. J'observais à nouveau la pièce à vivre, et la noir quasi complet ne me choquait même pas. Il rendait presque invisible la poussière ça et là sur les meubles du fond. Putain, cet appartement manque vraiment d'une présence féminine. J'essayais de passer en vitesse un coup de balai et ne prenais même pas la peine de m'habiller et me coiffer.
C'est bien Mikey, on dirait juste que tu viens de te taper le voisin – pas le fou qui gratte aux murs, quitte à choisir je prends Bouclettes – mais sinon tout va bien. Tu ressemble à rien mec. Ah si; à un zombie qui ressemble à rien. Au temps pour moi. Je soupirais en me répétant que j'étais pitoyable et ouvrais la porte quand mon amie eût sonné. Elle, était coiffée, maquillée, habillée – et bien en plus. Non, vraiment, c'est trop dur de venir mal peignée et en pyjama ? J'ai l'air de quoi moi, maintenant ? Putain, ces femmes, aucun effort j'vous jure. Mais la voir me faisait toujours sourire. Malgré tout, je lui sautais au cou en beuglant un :
Caaaaaaaaaaaaaaaat-miaou. et m'extasiais déjà devant la poche qu'elle me tendait. Sans me décoller d'elle, je lançais un faible :
Putain, je t'épouse.Je la tirais à l'intérieur et sautillais déjà jusqu'à la table, la poche en main.
Le manger, c'est la vie.